Le cul de Judas – Antonio Lobo Antunes

Un ouvrage aiguisé ou le tranchant d’une lame bien affûté

Deuxième roman de l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes paru en 1979. Le cul de Judas c’est aussi une adaptation théâtrale en 2007 à l’initiative de François Duval, metteur en scène et acteur.

Le roman se raconte au fil d’un long dialogue entre le narrateur et une femme rencontrée dans un bar. À mesure que les verres se vident, les têtes tombent. Le narrateur raconte comment à vingt ans il connaît le « cul de Judas », expression désignant « le trou du cul du monde ». L’histoire – l’Histoire – se déroule en Angola durant la guerre d’indépendance. Jeune médecin, le protagoniste se trouve projeté en ce lieu inconnu dont il va vite devenir familier des horreurs, violences et autres joyeusetés !

Nous suivons irrémédiablement le narrateur sur le flot de sa descente aux Enfers, dont le Styx, n’est autre que l’eau de feu et, dont les démons avérés, sont les ignobles acteurs directs et indirects de cette guerre… mais aussi l’Ennui et la façon dont ils tuent.

L’ouvrage éclaire le contexte, évoque le Portugal et ses décisions concernant l’Angola. L’opinion du narrateur à ce sujet est aussi claire que les méfaits dont il est témoin au coeur des ténèbres africaines. La noirceur, la violence physique comme morale, en un mot, les obscurités ne manquent pas dans cet ouvrage saisissant. Loin de se contenter d’un portrait descriptif, le protagoniste nous plonge au coeur et au creux de ses tourments africains, portugais, intimes, le tout, à différents moments de sa vie. L’Humour n’est pourtant pas en reste…

Lobo Antunes écrivit cet opus six ans après son retour d’Angola où il effectua vingt-sept mois de service militaire. Le cul de Judas est bien présenté comme un roman…. Cependant, quid de la part autobiographique ?

Tous les thèmes abordés le sont avec richesse, brutalité et finesse. Comment écrire sur la guerre sans l’évoquer dans son antre ? C’est ce qu’Antunes a fait, dans une écriture assumée de bout en bout. Lire Le cul de Judas ou tenir un couteau bien aiguisé et se blesser ? Du pareil au même.

Le milieu, les événements sont hostiles, sales, violents marqués par une brutalité dont les cicatrices sont plus qu’apparentes. À ne pas s’y tromper, bien que l’humour soit présent, on ne sort pas indemne d’une telle lecture dont les thèmes universels et l’ancrage historique ne peuvent qu’érafler – pour le moins -. Cette dureté caractérise donc cet ouvrage.

Âme sensible s’abstenir… Cela n’enlève rien au style singulier très imagé, métaphorique et talentueux de l’auteur qui en use – en abuse ? - pour marteler l’Horreur de cette guerre – de toutes les guerres -. Comment en faire l’économie ?

Tous les yeux, et surtout les coeurs, ne peuvent donc se prêter à cette lecture. L’authenticité de la violence, l’humour, la construction narrative… concourent ainsi pour savoir qui ébranlera le plus.

 

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