Extraits du conte

Chapitre 1

A une époque, aujourd’hui révolue, notre univers était peuplé de déferlantes.
La déferlante était une créature amibe, un organisme qui portait en lui des êtres. Elle leur donnait naissance pour qu’ils puissent accomplir les tâches primordiales pour lesquelles chacun avait sa place en notre monde. La déferlante, porteuse infime, ne mesurant que quelques millimètres, constituait un abri fidèle pour les êtres.
La déferlante était véritablement un être microscopique. Si on se fiait à son apparence, on pourrait croire qu’elle était insignifiante, même inutile. Elle avait une forme curieuse qui titille les sens, attire l’attention et permet à l’homme de rêver quelques instants. Son enveloppe était essentiellement ovale et se terminait en une petite queue arrondie. L’ovale originel était quelque peu déformé par de petites alvéoles qui ressemblaient à des larmes. Chacune d’elles fut conçue pour abriter un être mais parmi toutes les alvéoles, une seule était, réellement, destinée à enfanter. En réalité, une déferlante se nourrissait des émotions humaines et surhumaines. Mais, si une déferlante recevait une émotion trop forte, comme elle n’était pas apte à la gérer, elle dépérissait.
Tout, au sein d’un être comptait, que ce soit son Esprit ou son Allure. Tout, en lui, avait son importance et, tout en lui, était prometteur pourvu qu’il se donne les moyens de réaliser ses potentialités. Ainsi, ils respectaient le Grand Dessein.
Un projet avait été conçu pour chacun par une entité qui les surpassait de loin, dont personne n’a d’ailleurs jamais rien su. Tous le respectaient, pensant avoir le choix, alors qu’en réalité, ils devaient accomplir ce projet. Mais cela ne gênait aucune créature car même si on le soupçonnait quelque peu, on n’en disait rien. Aucune certitude ne définissait ce monde, et, au fond, les destinées étaient si prometteuses et riches qu’aucun être n’aurait voulu s’en plaindre.
Une fois conçu, chaque être devait mettre des milliers d’années pour se développer, le temps que sa première cellule soit parvenue à maturité.
L’Être était seul sur un espace isolé, qui n’était autre que celui de sa déferlante.
Cruellement, elle s’avérait défaillante et ne cessait d’errer dans une vaste étendue noire. Dernière survivante de son espèce, elle redoublait d’efforts pour sauver son être, Anaïtion.
Affaiblie, l’unique cellule de cette déferlante souffrait. Son agonie durerait suffisamment pour qu’Anaïtion restât en vie. Il continuerait sa croissance même s’il lui faudrait plus de temps que de coutume pour s’éveiller à la réalité et commencer sa véritable vie, celle où il agirait pour accomplir des actes grandioses. Anaïtion était suffisamment développé pour subsister sans la déferlante, mais, pas assez pour quitter son abri, au sein duquel il allait devoir rester encore un temps conséquent.
Anaïtion était pénétré par la chaleur de l’univers. On pouvait croire que l’espace infini sécrétait sa propre chaleur qui le berçait dans une tendresse indicible. Anaïtion connaissait la joie d’un confort royal. C’est comme s’il se trouvait au creux d’un immense ballon de baudruche moelleux dont le bien-être demeurait inaltérable. Il n’était pas assez évolué pour se mouvoir. Il marquait donc la substance qui le contenait de sa position fœtale.
Anaïtion s’apaisait grâce à cette errance qui le berçait depuis plusieurs milliers d’années. Selon lui, rien ne valait le repos et la quiétude du refuge constitué par l’antre de sa déferlante
- Anaïtion ? Qui est-il vraiment ? Que va-t-il devenir ? Pourquoi est-il ?
Anaïtion ne le savait pas encore mais il était promis à un avenir périlleux, peuplé de joies, de tristesses, de bien-être, de souffrances, de rires, de pleurs, d’espoirs, de désillusions. A chaque éclat de rire répondra une larme. A chaque espoir répondra une frustration.
A chaque pas en avant, son mal grandira. Mais il apprendra. Du simple fait de connaître, la douleur sera vive mais il se nourrira de ses expériences.
- Comment ? Vous êtes sûr ?
« On », entité au-dessus de toute autre, rejeta d’avance tout ce qui pourrait arriver de néfaste à Anaïtion.
D’ores et déjà, avant que tout n’ait commencé, « On » savait. Il connaissait l’Être et savait quel serait son avenir. Si nous lui demandions de nous prédire ce qui allait se produire, « On » répondrait qu’Anaïtion était promu à un futur merveilleux, empli de poésie, d’humanité, d’émerveillement, d’infinitude. Car chaque déferlante engendrait l’Être quand elle était persuadée de son futur Bonheur.
Pour cette raison simple, « On », qui sentait les intentions des déferlantes, était convaincu d’une nouvelle réussite.
Il n’errera pas, il sera.

Chapitre 2

La déferlante se désintégra comme un vaisseau spatial qui aurait subitement explosé, laissant croire à une disparition totale. Anaïtion se mit à planer au gré des atmosphères qu’il pouvait observer.
Voyant un monde flotter sur un nuage, il décida de s’y arrêter. Alors qu’il était replié sur lui-même, il déploya ses membres et se mit en position pour atterrir sur ce monde. Bien loin d’imaginer les rencontres qu’il y ferait, Anaïtion était prêt à explorer ce nouveau microcosme. « On » lui souhaita bonne chance et lui prodigua de bien s’amuser.
Tout semblait être en couleur sur cette planète. De magnifiques couleurs, alors que tout ce qu’Anaïtion avait pu observer jusqu’alors était en noir et blanc. Un ciel noir, une déferlante blanche et des astéroïdes gris ! Il se découvrit tout rose et dans son plus simple appareil. Il n’avait pas conscience d’être indécent. Il était simplement. Anaïtion se posa sur ses deux jambes et de ses deux bras, il saisit au vol un être ovale. Cet être curieux s’appelait Séléné. Celui-ci, de la même manière qu’Anaïtion, se déploya pour arriver en douceur.
- Bonjour !
- …
- Bonjour !
- …
- Bonjour ! Pourquoi ne me réponds-tu pas, petit être tout rose ?
- …
Séléné fut obligé d’utiliser son pouvoir de télépathie. Il sut ainsi que ce petit être, en apparence si fragile, se nommait Anaïtion, qu’il avait échoué sur cette planète qui lui semblait sympathique. Séléné souhaita alors se présenter à son hôte et lui expliquer où il se trouvait.

Chapitre 3

A chaque pas que faisait Anaïtion, il entendait un mot. « Un », puis « deux », puis « trois »… Alors dans toute la magie de la Mimésis qui s’opérait dans ce monde, il se mit à répéter, un, deux, trois, quatre… Il franchit ainsi une centaine de nuages et pour son jeune âge apprit à compter, en pensant ce qu’il entendait. Il lui semblait voir des êtres unis, qui avaient tous la forme d’un ovale. Il savait qu’il rencontrerait certains d’entre eux mais Anaïtion ne pensa mot pour ne pas le provoquer. Il attendait en progressant dans sa marche. Le dernier nuage franchi l’amena dans un bois. Il y vit deux arbres au tronc jauni et aux feuilles brunies. S’installant entre ces deux arbres, sur un parterre de feuilles, Anaïtion se reposa. Le vert du ciel reflétait celui de l’herbe et des forêts qui peuplaient ce monde.
L’un des ovales descendit vers lui. Il rebondit d’abord plusieurs fois avant de se déployer dans les airs pour atterrir en douceur, ce qui intrigua Anaïtion. Il s’agissait en fait de Séléné.

© Coralie Folloni, Extraits de Un être venu d’ailleurs, Editions Valrose, 2012.

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